Asinine : La Jetée, un EP cinématographique entre mémoire et destin !

Avec La Jetée, son nouvel EP sorti le 14 mars 2025, Asinine mêle rap et cinéma pour explorer les thèmes du temps, des souvenirs et de l’identité. Inspirée par le film culte de Chris Marker, la rappeuse marseillaise crée une œuvre immersive où chaque morceau se transforme en une scène introspective, entre fatalité et quête de liberté.

Cover par Léonie Guyot

Le film La Jetée : une boucle temporelle hantée par le souvenir.

La Jetée de Chris Marker est un court-métrage expérimental composé presque exclusivement d’images fixes, racontant l’histoire d’un homme hanté par un souvenir d’enfance : l’image d’une femme sur une jetée, juste avant une catastrophe.

Dans un monde post-apocalyptique, des scientifiques l’envoient dans le passé pour tenter de sauver l’humanité. Il retrouve alors cette femme et vit avec elle une histoire d’amour intense. Mais il comprend peu à peu que son destin est déjà écrit : la scène qu’il revoyait depuis son enfance était en réalité celle de sa propre mort.

Ce film interroge le poids du passé, l’illusion du libre arbitre et la manière dont la mémoire façonne nos choix et notre perception du temps.

Un EP hanté par le temps et les souvenirs.

Comme le film, l’EP La Jetée d’Asinine est traversé par des questions existentielles : Sommes-nous prisonniers de nos souvenirs ? Peut-on se libérer du passé ?

Le morceau “Comme des pierres” ouvre l’EP sur une ambiance contemplative, comme si l’auditeur entrait dans un souvenir flou. “Cage thoracique” évoque l’anxiété et l’enfermement, tandis que “Meute de loups” joue sur la métaphore du groupe et de l’isolement. Dans “100 ans”, Asinine interroge la trace que l’on laisse derrière soi, tout en y faisant une déclaration d’amour à sa sœur, une réflexion qui fait écho au destin figé du personnage du film.

Le morceau “Anchorage”, sorti en single avant l’EP, prend place à la moitié du projet et fonctionne comme une pause, un ancrage dans l’ensemble. Accompagné d’un clip visuellement fort, ce morceau offre une réflexion sur la recherche d’une stabilité intérieure dans un monde en mouvement constant. La mélodie poignante et les paroles intenses explorent la solitude et le besoin d’ancrage, tandis que le clip intensifie cette quête d’authenticité, renforçant le lien entre l’auditeur et le monde intérieur de l’artiste.

Mais là où La Jetée de Marker plonge dans la fatalité, l’EP d’Asinine laisse entrevoir une ouverture. Le morceau de clôture, “Si le soleil existe”, apporte une lueur d’espoir, comme un refus de se laisser enfermer dans le passé.

"Et chaque fois qu'la nuit tombe, j'me demande si le soleil reviendra ou pire si le soleil existe"

Un projet à la narration cinématographique.

Musicalement, La Jetée est construit comme un film en plusieurs actes, avec une progression narrative marquée. La production oscille entre nappes aériennes et beats percutants, jouant avec les silences et les textures sonores pour renforcer l’effet immersif. Certains morceaux utilisent des samples ou des ambiances sonores qui évoquent des fragments de mémoire, accentuant la sensation de voyage intérieur.

Tout comme le film de Marker, qui brouille la frontière entre rêve et réalité, l’EP d’Asinine semble évoluer entre différents plans temporels. Chaque morceau est une image figée, un instant suspendu qui résonne longtemps après l’écoute.

Entre boucle et échappatoire.

Si La Jetée de Chris Marker suggère que le destin est inéluctable, Asinine, elle, oscille entre acceptation et révolte. Son EP est une réflexion sur le poids du passé, mais aussi sur la possibilité de s’en libérer. Peut-on vraiment réécrire notre histoire, ou sommes-nous condamnés à revivre les mêmes schémas ?

Avec La Jetée, la rappeuse marseillaise signe une œuvre dense et poétique, qui confirme son talent pour allier introspection et narration cinématographique, et sa place d'artiste à suivre. Un projet à écouter comme on regarde un film : en se laissant happer par l’atmosphère, pour mieux en saisir la profondeur.

Photo par Lucas Chedhomme